Mercredi après-midi nuageux, c’est l’occasion pour moi de relire Maman noire et invisible de Diariatou Kebe. Dans ce livre qui est à la fois guide, essai et autobiographie, elle interroge la maternité noire. Elle interpelle sur son manque de représentation en tant que femme noire française dans l’espace public. C’est d’ailleurs criant dans la littérature puisque je connais peu de femmes noires françaises écrivaines. Comme la singularité de nos expériences est peu narrée, c’est un plaisir rare pour moi de lire un auteur qui m’est si semblable.
Ces réflexions et questionnements sur la maternité noire font souvent écho aux miennes. Et pourtant, s’il y a bien une chose d’universelle, c’est la maternité. L’amour qu’on a pour son enfant, après l’avoir attendu pendant de longs mois et toute l’attention qu’on porte à son éducation une fois qu’il est là. Nos désirs de transmissions, nos espérances mêlées de nos angoisses. Tous ces thèmes sont si communs à toutes les mamans. Ils nous lient toutes autour de cette magnifique aventure qu’est celle de donner la vie.
Dans ce cas, d’où vient la nécessité de parler de la maternité pour une femme noire. Après tout, nos vécus sont si semblables. De prime abord, envisager la maternité sous l’angle de la couleur de peau est si incongru ! Alors, pourquoi le faire ?
Parce que nous sommes invisibles
Cette invisibilité a d’ailleurs été l’élément déclencheur qui a poussé Diariatou Kebe à écrire son livre. Elle ne se sentait pas représentée dans les livres sur la maternité et a décidé d’y remédier.
Les femmes noires et leurs spécificités ne sont pas prises en compte dans les guides sur la grossesse. Il n’y a pas d’inclusion. Par exemple, dans ces manuels, lorsqu’on parle des vergetures, tout est expliqué en considérant que toutes les lectrices avaient la peau claire. Concernant les illustrations choisies, c’est pareil. J’arrive très bien à m’identifier à des mamans blanches, mais je pense que l’inverse est vrai. Alors, pourquoi pas plus de diversité dans ces images de femmes enceintes? Tout se passe comme si la blancheur est l’étalon de mesure du monde et que le reste n’est que déviation du modèle standard. À quoi bon parler des déviations?
C’est assez criant dans les magasines féminin où ils vont te pondre des articles sur les coiffures en abordant les différentes textures que peut arborer le cheveu caucasien, mais en ignorant les cheveux crépus. Et le jour où ils veulent l’évoquer, ce sera dans un numéro spécial ethnique. Cela est pareil pour les cosmétiques. Pour trouver un produit qui prend en considération les spécificités de mes cheveux ou de ma peau, il est vain pour moi d’aller dans les rayons classiques. Je dois me rendre dans la section ethnique du magasin où tout est rassemblé. Comme si « ethnique » ne s’applique qu’aux personnes de couleur. S’il faut catégoriser les cosmétiques ou les articles de presse selon l’ethnie des gens, les blancs ne doivent pas être exclus. Parce qu’en définitive, c’est une façon d’ethniciser certains tandis que les autres sont universels. Sur ce point, je trouve que ces choses évoluent (lentement) dans le bon sens.
Cette quasi-invisibilité semble anecdotique, mais tous ces éléments mis bout à bout font masse. Ils finissent par créer un climat dans lequel les femmes noires manquent de considération. Rokhaya Diallo avait également tenté de l’expliquer en prenant pour exemple les pansements et les collants couleur chair. La couleur chair ignore en fait royalement ceux qui ont la peau foncée. Je me rappelle comme elle avait été durement moquée. Ce faisant,les moqueurs illustrent finalement bien le propos. Il y a une négation de nos singularités et même de nos émotions face à cette ignorance.
Dans ce contexte, un livre comme celui de Diariatou Kebe permet de se dire : « oui, j’existe bel et bien, moi aussi j’ai une place parmi les guides de grossesse ».
Parce que nous devons élever des enfants noirs qui feront face au racisme
Dit comme ça cela semble plutôt pessimiste. Mais en fait non, il s’agit simplement de voir notre monde en face avec ses injustices et ses beautés pour y tracer son chemin. Car la réalité est que même s’ils font les efforts nécessaires pour avoir les bons diplômes, il leur sera plus difficile d’atteindre le même niveau que leurs amis blancs à niveau égal.
Ainsi, l’éducation d’un enfant noir doit prendre en compte l’expérience du racisme et de la stigmatisation. Le risque si on omet de le faire, c’est la haine de soi même. J’ai en tête ces bambins noirs qui ont passé le test de la poupée à plusieurs époques aux USA. Pour la réaliser le test, on les plaçait face à une poupée noire et et une poupée blanche. Ensuite, plusieurs questions leur étaient posées. La majorité désigne la poupée noire comme étant moins belle, moins gentille…. Malgré leur très jeune âge, ils avaient fait leurs les dévalorisations racistes. L‘intériorisation du discours raciste, ce n’est pas ce que j’espère pour mes enfants.
Je ne peux pas éradiquer le racisme, mais je peux agir sur l’éducation de mes bouts de chou pour qu’ils ne soient pas affectés par les personnes racistes qui croiseront leur chemin. Je veux qu’ils puissent les détecter à 1000 lieues pour s’en détourner afin de se concentrer sur les autres. Je souhaite l’éduquer à savoir distinguer les moments où il faut laisser couler de ceux où il doit dire stop. Car, rappelons-le, harcèlement et discrimination sont des délits.
En tant que maman noire, j’aspire à parler du racisme à mes enfants pour le déconstruire. Je désire qu’ils sachent mettre à distance le discours raciste sans jamais se l’approprier. Pour ce faire, je conseille l’excellent Le Racisme expliqué à ma fille de Tahar Ben Jelloun que j’ai lu avec ma classe lorsque j’étais à l’école primaire. Cet essai m’a appris comment les clichés racistes se construisent. Ce faisant, je n’ai jamais souffert des railleries racistes dont j’ai pu être victime (à l’époque, ça ne volait pas plus haut que « caca boudin »).
Diariatou Kebe commence son livre par ce poème, sorte d’incantation qui résume ces espérances :
« Ta couleur de peau sera un frein pour certains,
Un obstacle pour d’autres,
Ne chavire pas, sois juste toi,
Tu n’auras pas à être fière de ta peau, sois juste toi,
Tu seras celui que tu as décidé d’être et non pas,
Celui que l’on veut que tu sois,
Trace toi-même ton chemin »
Parce que nous voulons nous battre pour une société sans racisme
Aucun parent n’accepte sereinement que sa progéniture puisse grandir dans un monde qui lui sera injuste. Alors la maternité noire se traduit également par cette dichotomie : en même temps qu’on parle du racisme à nos enfants, on fait tout pour l’annihiler.
La maternité vous donne la force de vous transcender pour ce petit être sans défense que vous avez mis au monde. Elle vous fait soulever soulever toutes les montagnes qui se mettent en travers de son bien être. Le racisme, je m’étais résignée à l’accepter avant de devenir maman. Plus maintenant.
Les remarques que je trouvais acceptables jadis sont devenues intolérables. Les catalogages que j’ai acceptés pour moi, je ne les veux pas pour mes enfants. Je souhaite qu’ils soient respectés et libres de choisir leur voie. Et non sans cesse renvoyé à un archétype de l’Homme noir. Je refuse qu’ils soient enfermés dans un personnage fantasmé par les autres.
Parce que nous voulons transmettre à nos enfants toutes les richesses de leurs cultures
Et être une maman noire c’est aussi avoir envie de transmettre une histoire et une culture faite de métissages à son enfant. On veut leur montrer qu’ils s’inscrivent dans la continuité d’un peuple digne dont les mémoires sont riches de mythes, légendes, héros et instants de bravoure. Et leur raconter des contes dans lesquels ils se sentent représentés et valorisés. Si vous êtes dans la même quête, je vous conseille d’aller voir du côté de l’association Diveka créée par Diariatou Kebe.
Jusqu’à mon entrée au lycée, ma mère me conduisait régulièrement à l’ambassade du Burkina Faso pour y assister à la journée des enfants. J’adorais ces moments mère-fille qui m’amenaient à mieux comprendre d’où je viens. Ça m’a été bien utile pour faire face à ceux qui m’expliquait que ce n’est qu’un lieu de désolations où cohabitent animaux de la savane avec des villageois à civiliser. Savoir que mon grand-père avait été tirailleur et connaître l’histoire de la colonisation m’a permis de ne jamais remettre en cause ma légitimité à être française. Même en plein débat sur l’identité nationale ! Car la France s’est construite avec (sur) l’Afrique.
Apprendre à se situer dans l’histoire de l’Afrique et des migrations est essentiel pour la construction identitaire de nos enfants. Face à ceux qu’ils leur diront qu’ils ne sont pas français, il faut qu’ils aient cette base solide pour ne jamais douter que s’ils s’inscrivent bien dans une lignée qui prend sa source en Afrique. Ils sont d’ici est d’ailleurs. Cela est une richesse incommensurable.
Je vous conseille pour ce faire de visiter le Musée national de l’histoire de l’immigration dans le palais de la Porte Dorée. Il permet à tout un chacun de mieux saisir les complexités des migrations. Je pense que c’est important pour l’éducation d’un petit être qui fera face à des discours critiques vis-à-vis de l’immigration post colonial tel que : « s’il y a des problèmes en banlieue c’est que ces jeunes issues de l’immigration africaine ont une culture incompatible avec les valeurs la France ».
Voilà ce que je pouvais dire sur la maternité noire. Il s’agit de ma vision à moi. Demandez à 1000 autres femmes noires, vous aurez 1000 autres points de vue. 1000 autres singularités à raconter. En définitive, une mère reste une mère qui, quelle que soit sa couleur de peau ne veut qu’une chose : le bonheur de ses têtes blondes, brunes ou rousses.
Merci pour ce bel exposé de ton ressenti avec lequel je me sens très en phase car mes filles et par extension mes petits-fils sont issus de deux cultures: italienne et française
Bonjour, votre article souligne des réalités trop souvent oubliées. La représentation est extrêmement importante afin qu’un enfant grandisse et se développe en se sentant valorisé, normal et capable. Pour moi, cela passe notamment par la littérature jeunesse, c’est pourquoi j’ai décidé de créer Mistikrak! où je partage mes découvertes littéraires où il y a présence d’un personnage noir (mistikrak.wordpress.com) Mais il faut faire attention en littérature comme partout ailleurs; les auteurs et les éditeurs ont parfois tendance à favoriser les récits d’une Afrique exotique et sauvage. Je pense qu’il est important d’offrir à nos enfants des représentations qui s’éloignent des stéréotypes: offrons-leur aussi des récits du quotidien auxquels ils pourront s’identifier !
Je suis tout à fait d’accord. Je vais suivre ton blog avec un grand intérêt